COVID-19 et exécution des contrats en droit Burkinabè : Décryptage avec le Pr Dominique Kabré, enseignant de droit (1/2)

Depuis mars 2020, le pays des Hommes intègres est touché par la COVID-19. Pour stopper l’extension de cette maladie, le gouvernement a pris plusieurs mesures.  dans les lignes qui suivent le Pr Dominique Kabré, enseignant de Droit à l’Université Ouaga 2, fait une analyse, que nous vous proposons en deux partie, quand à l’exécution des contrats en droit Burkinabè dans un contexte de COVID-19.

Introduction

  1. La pandémie à coronavirus a une influence sur les activités humaines rarement égalée dans l’histoire de l’humanité. Pour endiguer son effet contagieux rapide, les États ont été amenés à imposer des mesures sanitaires et à restreindre plus ou moins les activités de leurs populations.
  2. Le Burkina Faso a pris, à la suite de la découverte des premiers cas de coronavirus le 9 mars 2020, des mesures sanitaires et des mesures administratives restrictives des libertés, afin de freiner la pandémie. C’est ainsi que, le 21 mars 2020, le Président du Faso a décrété un couvre-feu de 19h à 5h. S’en est suivie une batterie de mesures énoncées dans l’arrêté du 23 mars 2020 du Premier ministre portant restrictions temporaires des libertés au titre des mesures spéciales de réduction de la propagation du Covid-19. Une partie de ces mesures avait un objet sanitaire comme l’obligation de confinement pour les malades du COVID-19 à domicile ou dans les centres de soin et la mise en quarantaine des personnes en contact avec ces malades pendant quatorze. L’autre partie des mesures avaient un effet sanitaire et a consisté en des restrictions d’un certain nombre de libertés allant de l’interdiction de regroupements ou de rassemblement de plus de cinquante personnes, ce qui a entrainé de fait la fermeture des lieux de grands rassemblements, jusqu’à la fermeture des frontières terrestres, aériennes et ferroviaires (à l’exception du transport du fret ou à but humanitaire) en passant par l’interdiction du transport inter-urbain des passagers. Critiqué à juste titre pour sa légalité incertaine, cet arrêté a été abrogé et remplacé par le décret du 15 avril 2020 qui a reconduit ces mesures en les assortissant de sanctions d’amende. En fait, ce décret, intervenu après la déclaration de l’état d’alerte sanitaire par décret du 30 mars 2020 (n°2020-239), est censé, en se fondant sur cette déclaration, corriger la légalité discutable de l’arrêté du 23 mars 2020 précité. Pour autant, il ne semble pas être exempt de tout vice (Cf. K. NIKIEMA, Le COVID-19 et nos droits et libertés fondamentaux, https://www.burkina24.com/2020/04/20/tribune-de-lupc-le-covid-19-et-nos-droits-et-libertes-fondamentaux/, consulté le 20 avril 2020 ; A. SOMA, Interview publié à https://www.studioyafa.org/et-aussi/642-covid-19-au-burkina-la-declaration-de-l-etat-d-alerte-sanitaire-devrait-etre-limitee-dans-le-temps-pr-abdoulaye-soma.html, le 13 avril 2020). Le nombre des cas positifs allant croissant, l’exécutif a ajouté un tour de vis aux restrictions des libertés en décrétant concomitamment à la déclaration de l’état d’alerte sanitaire la quarantaine des villes ayant au moins un cas positif du COVID-19 (Décret 2020-0240/PRES/PM/MS/MDNAC/MSECU/MINEFID). Ces derniers temps, il a été procédé, un peu dans le désordre, à la levée de mesures restrictives de libertés : levée de la quarantaine, de l’interdiction du transport inter-urbain, et de l’interdiction de certains rassemblements (ouverture des lieux des cultes, des écoles et universités, des bars et restaurants, ouverture des marchés et yaars…). Toutefois, la fermeture des frontières terrestres, aériennes et ferroviaires, de même que le couvre-feu, réaménagé de 21h à 4h du matin, ont été maintenus.
  3. Il est certain que ces mesures administratives ont bouleversé ou continuent de bouleverser nombre d’activités économiques. Certaines d’entre elles ont été fortement réduites alors que d’autres étaient ou sont complètement à l’arrêt. Support juridique des activités économiques, le contrat ne sort pas indemne de la situation. Les mesures administratives adoptées ou la pandémie elle-même n’ont pas manqué d’empêcher ou de rendre difficile l’exécution de certains contrats. Par exemple, avec la fermeture des marchés, le commerçant n’a pas été à mesure de payer ses traites ou la fraction du crédit exigible ou encore d’honorer son engagement de payer son loyer professionnel ; le salarié de la société de transport dont le contrat de travail a été suspendu n’a pas versé le loyer mensuel du bail d’habitation ; le transporteur n’a pas exécuté son engagement d’acheminer les fruits et légumes de Bobo à Ouagadougou, ce qui a entrainé l’avarie de ceux-ci ; affaibli par la maladie à coronavirus, l’entrepreneur n’a pas respecté le délai d’exécution du marché des travaux public dont il a été attributaire. Ces cas d’empêchement à exécution suscitent la question de savoir si les obligations contractuelles sont dues ou si les parties sont dispensées de les exécuter. Cette question n’appelle pas de réponse simple, car les enjeux sont importants. Si le débiteur était tenu d’exécuter ses obligations, il assumerait les conséquences de l’inexécution (exécution forcée, responsabilité contractuelle, résolution….). En revanche, si les circonstances pouvaient le dispenser d’exécuter ses obligations, il échapperait à ces conséquences, mais, alors, l’on se demanderait si le créancier était tenu par ses éventuels engagements à l’égard du débiteur libéré.
  4. Parfois, l’exécution du contrat, sans être empêchée, était devenue beaucoup plus difficile pour le débiteur. Par exemple, le vendeur des produits pharmaceutiques qui s’était engagé à livrer des bavettes à un hôpital ne peut plus le faire au prix convenu en raison de l’enchérissement du prix de ces bavettes provoqué par la pandémie ; le commerçant, affecté par la mesure de fermeture des marchés, risque de ne pas respecter l’échéancier de paiement du prix du camion qu’il a acheté à crédit à un revendeur de véhicule. Dans ces situations, il se pose la question de savoir si le contrat doit être exécuté dans les termes convenus ou s’il faut admettre une révision du contrat, ici le prix, pour tenir compte de la nouvelle situation. L’intérêt de la question saute aux yeux : l’exigence d’une exécution conforme au pacte convenu renchérirait la prestation du débiteur ou fragiliserait la situation de ce dernier, ce qui peut s’avérer fatale pour son activité. L’admission d’une révision déjouerait les prévisions du créancier et une augmentation de ses dépenses.
  5. Le droit des contrats apporte des remèdes à ces hypothèses d’empêchement d’exécution ou de difficulté d’exécution. Ces remèdes sont à rechercher aussi bien dans le « droit de crise » (1), que dans le droit ordinaire (2).

 

        1) Les remèdes issus du « droit de crise »

  1. Afin d’atténuer « les effets pervers  sur la vie quotidienne » créés par les mesures administratives restrictives, le Président du Faso a, par un discours prononcé le 2 avril 2020, annoncé des mesures d’accompagnement. Pour s’en tenir à celles qui touchent aux contrats, on peut s’efforcer de les classer en deux catégories. D’une part, il y a lieu de noter des mesures de paiement des dettes contractuelles par l’Etat ; d’autre part, on peut pointer des mesures touchant au contenu de certains contrats.

 

a) Les mesures de paiement de dettes contractuelles par l’Etat

  1. Présentation. Relèvent de cette catégorie de mesures :
    • la prise en charge des factures d’eau de la tranche sociale, et la gratuité de la consommation au niveau des bornes fontaines ;
    • la prise charge des factures d’électricité pour les couches sociales utilisant des branchements de 3 ampères monophasés ;
    • le rabattement des factures d’électricité de 50% pour les couches sociales utilisant des branchements de 5 et 10 ampères monophasés ;
    • la prise en charge des factures d’eau et d’électricité dans les marchés et yaars fermés ;
    • la prise en charge des frais de gardiennage des marchés et yaars fermés ;
    • la gratuité du stationnement pour les taxis.
  1. Analyse. Ces mesures qui couvrent la période d’avril à juin 2020 concernent des contrats conclus entre les bénéficiaires et leurs cocontractants (l’ONEA, la SONABEL, les Maries, les Sociétés de gardiennage…). Il importe de préciser que ces derniers sont des personnes morales distinctes juridiquement de l’Etat, de manière telle que ce dernier est un tiers à ces contrats. Du point de vue la technique juridique, ces mesures ne modifient pas le contenu des contrats concernés. Elles ont simplement pour effet de mettre la charge des dettes qui pesaient sur les bénéficiaires sur l’Etat burkinabè. En d’autres termes, l’Etat, tiers à ces contrats, s’engage à payer les dettes à la place des bénéficiaires de ces mesures. L’opération est parfaitement valable. Il est admis qu’un tiers peut s’engager à payer les dettes du débiteur, réserve faite des dettes à caractère personnel, sans que ce dernier consente et sans que le créancier ne puisse refuser ce paiement. À cet effet, la proclamation faite par la voix du Président du Faso, le représentant légitime de l’Etat burkinabè, valide cet engagement et en est une preuve irréfutable. Toutefois, tant que les créanciers (ONEA, SONABEL, Maries, Sociétés de gardiennage) n’ont pas accepté de libérer les bénéficiaires, ceux-ci restent tenus et pourraient donc être contraints de payer si l’Etat ne respectait pas ses engagements. Si, en revanche, les mesures prises ont été convenues entre les créanciers et l’Etat, il y a novation par changement de débiteur qui éteint définitivement l’obligation de paiement à laquelle ces bénéficiaires étaient tenus. Cette hypothèse est la plus plausible, car on imagine mal que l’Etat ait adopté ces mesures sans concertation avec les différents créanciers.

 

b) Mesures modifiant le contenu des contrats.

  1. Présentation et analyse particulière. S’inscrivent dans cette seconde catégorie de mesures :
  •  l’annulation des pénalités de retard dans l’exécution des marchés publics au niveau de l’Etat central et des collectivités territoriales. Sont ainsi exclus de cette mesure les marchés publics passés par les autres autorités contractantes comme les autorités administratives indépendantes, les établissements publics, les sociétés d’État, les sociétés à participation financière publique majoritaire, etc. ;
  • l’annulation des pénalités sur les factures de la SONABEL et de l’ONEA, qui affecte la clause relative aux pénalités insérées dans les contrats conclus avec les usagers de services de ces deux sociétés ;
  • la suspension des loyers des baux contractés et des droits de place dans les marchés et yaars fermés pour la période d’avril à juin 2020, ce qui implique que les loyers de cette période ne sont pas dus ; mais le terme « suspension » peut laisser également penser que les loyers ne sont pas exigés pendant ladite période mais qu’ils seront payés au terme de cette période. Même si l’esprit dans lequel les mesures ont été prises plaide pour la première analyse, la difficulté d’interprétation aurait pu être évitée par le choix d’une expression adéquate (non-paiement de loyer, prise en charge des loyers, etc.) ;
  • le report d’échéance des crédits pour les entreprises qui en font la demande : on peut se demander si cette mesure correspond à un moratoire. Le doute est permis dans la mesure où, en l’absence de délai imposé, la fixation du nouveau terme est laissée à l’appréciation des parties. Toutefois, il serait inexact de qualifier ce report d’échéances de terme conventionnel, car la proclamation du Président semble conférer au débiteur un droit au report d’échéance. On pourrait être tenté de dire qu’il s’agit d’un terme hybride ayant, pour reprendre l’expression du juriste italien Carnelutti, « le corps d’un contrat et l’âme d’une loi ». Cependant, une telle qualification est loin de rassurer quant à la détermination du régime de ce terme, qui s’annonce ardue.
  1. Analyse générale. L’annulation des pénalités liées à l’exécution des marchés publics au niveau de l’État central peut s’analyser comme une remise de pénalités, puisque l’État est l’autorité contractante pour ce type de marchés. Une telle remise est admise par le décret portant règlementation générale des marches publics et des délégations de service public au Burkina Faso (article 130). En ce qui concerne les autres mesures (l’annulation des pénalités des marchés des collectivités territoriales et des factures, la suspension du paiement des loyers et le report d’échéance des crédits), il sied de constater que l’État est un tiers auxdits contrats et ne peut, en principe, décider de la modification des contrats à la place des parties contractantes. Il ne peut donc s’agir de modification conventionnelle. Les mesures proclamées s’entendent assurément comme une modification légale desdits contrats. Or, s’il est permis que l’État puisse modifier le régime des contrats, ce pouvoir est réservé en premier lieu au législatif et non à l’exécutif. Selon l’article 101, alinéa 2, de la Constitution burkinabè, la loi détermine les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales. Dès lors, il nous semble que seule l’Assemblée nationale peut autoriser l’exécutif à porter atteinte au régime des contrats en cours. Et à supposer même que l’exécutif ait un tel pouvoir, il est sérieusement douteux qu’une simple proclamation du Président du Faso puisse être l’instrument juridique approprié pour exprimer un tel pouvoir. Hormis l’intervention législative, une autre solution est envisageable pour rattraper la maladresse commise : il s’agira d’amener les parties créancières concernées (Etablissement de crédit, Mairies, SONABEL, ONEA…) à prendre, conformément aux textes qui régissent leurs organes, à leur compte ces mesures. Cet « endossement » aura pour conséquence d’inscrire ces mesures dans un cadre conventionnel.
  2. Mesures ratées dans les marchés publics. En matière de marchés publics, l’Autorité de régulation de la commande publique (ARCOP), se fondant sur l’état d’alerte sanitaire et la quarantaine décrétés, avait, par une lettre n°2020-01/ARCOP/CR du 10 avril 2020, enjoint à toute autorité contractante de « suspendre toutes les procédures de passation non encore lancées ou déjà lancées à l’exception des prestations urgentes, ayant un caractère essentiel pour le fonctionnement continu des services et qui ne peuvent souffrir d’aucun retard ». Dans la même lettre, elle avait également invité « les autorités contractantes à suspendre l’exécution ou à proroger les délais contractuels d’exécution des marchés en cours à la demande des titulaires toutes les fois où la mise en œuvre desdits contrats est rendue impossible par les mesures susvisées ». L’intention est louable et les instructions édictées, notamment celles relatives à la suspension des contrats, étaient fort opportunes. Toutefois, ces mesures ne pouvaient prospérer car elles excèdent les compétences de l’ARCOP. C’est pourquoi, le Premier Ministère, organe de rattachement de l’ARCOP, a dû rappeler, en y mettant la forme, à l’ordre l’ARCOP par une lettre n°20-0710/¨PM/CAB du 13 avril 2020. Si ce rappel au respect des textes est salutaire, il faut regretter qu’aucune mesure palliative n’ait été adoptée pour indiquer la direction à suivre pour les marchés publics affectés par les mesures administratives. À défaut d’une telle mesure générale, il appartiendra à chaque autorité contractante d’aviser en cas d’inexécution ou de retard d’exécution des marchés, en exploitant les ressources de la réglementation de la commande publique. L’inconvénient de cette approche des choses est qu’elle pourrait être source de désordre ou porter atteinte au principe d’égalité qui est l’un des fondements de la commande publique.
  3. Synthèse. Les mesures annoncées par le Président du Faso ne règlent pas, loin s’en faut, toutes les entraves à l’exécution des contrats créées par les mesures administratives. Le recours au droit ordinaire apparaît donc incontournable.

 

Pr Windpagnangdé Dominique KABRE

Agrégé des facultés de droit

Université Ouaga II

dkabre@univ-ouaga2.bf

Domikabr@yahoo.fr

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