« Le Sénégal : Un modèle démocratique africain en déclin », c’est le titre du dernier rapport de Afrikajom Center, publié en mai 2023. Ce document de 48 pages analyse la situation politique du Sénégal, pays considéré comme un modèle de démocratie en Afrique. Le rapport décrit comment la situation politique et économique s’est dégradée dans le pays à cause notamment de la corruption, du recul du respect des droits de l’homme et le déclin des valeurs démocratiques favorisé par un régime « hyper présidentiel qui concentre, contrôle et écrase tous les pouvoirs par le jeu des nominations aux fonctions civiles et militaires sans aucune possibilité de contrôle ».
Selon le rapport, la démocratie sénégalaise, jadis enviée, présente aujourd’hui « une image hideuse et méconnaissable qui inquiète de plus en plus au Sénégal et dans le monde ». Le document met en exergue des éléments qui expliquent ce déclin démocratique qu’il compare aux premières années de l’adoption de la Constitution du 7 mars 1963 avec l’avènement de la période du parti unique et d’une certaine forme de dictature violemment contestée par les évènements de 1968 dans le pays.
Désamorcer la bombe politique et démocratique du troisième mandat et de l’éligibilité électorale
C’est le premier point auquel s’est attaqué Afrikajom Center. Ici, la structure dénonce la tentative de la majorité présidentielle d’imposer de nouvelles règles sur l’éligibilité du candidat à la présidentielle, pourtant totalement différentes de celles qui ont permis l’élection du Président Macky Sall. Par exemple, en 2019 avec la loi sur le parrainage, sur 27 dossiers de candidatures à la présidentielle déposés, seuls 5 ont été retenus dont celui du président sortant. Cela semble être une volonté du pouvoir en place de réduire le nombre de candidats. C’est sous cet angle que l’auteur du rapport voit l’affaire Ousmane Sonko, opposant numéro 1 du régime. Les multiples chefs d’accusation dont il fait l’objet serait une tentative de le liquider politiquement.
En plus, la tentative du Président Macky Sall de briguer un 3eme mandat est identifiée par le rapport comme une source de tension dans le pays. Pourtant, il avait déjà entrepris des modifications de la Constitution pour verrouiller l’article 27, mettant un terme à toute possibilité de faire plus de deux mandats. « Après avoir dit et écrit que son second mandat se termine en 2024, il se met à hésiter et à envisager la possibilité d’un troisième mandat » a déploré Afrikajom Center dans le document.
Géopolitique du gaz, du pétrole, et autres ressources minérales
Selon le rapport, la découverte du pétrole et du gaz semble devenir de plus en plus une malédiction pour le Sénégal au regard de la crise persistante et récurrente qu’elle exerce sur le pouvoir présidentiel depuis 2011/2012 et semble constituer la principale cause des régressions politiques et démocratiques de ces dix dernières années. Il en veut pour preuve l’élaboration des projets de réformes constitutionnelles par les autorités libérales dans les années 2010-2011 pour conserver le pouvoir après la signature des tout premiers contrats de recherche avec les grandes compagnies pétrolières. L’initiative du président à l’époque de briguer un 3eme mandat a été combattue permettant à l’actuel Président Macky Sall d’être élu. Cependant, à la veille des premières exploitations gazières et pétrolières, c’est les mêmes partis et coalitions politiques qui avaient combattu le 3eme mandat à l’époque qui exercent des pressions pour un 3eme mandat de Macky Sall en 2024.
Les des droits de l’Homme et des libertés fondamentales de plus en plus menacés
Afrikajom Center affirme dans le document que sur les questions politiques, la justice sénégalaise présente des insuffisances manifestes à réguler le contentieux politique dans le pays depuis des années. Ainsi, la perception qu’elle n’est pas « indépendante », pas « impartiale », « qu’elle est sélective » et qu’elle est « une justice de deux poids deux mesures » est durement ancrée dans l’imaginaire des sénégalais.
Cette perception a été nourrie par un constat des droits de l’Homme et des libertés fondamentales de plus en plus menacés dans le pays. Cela est caractérisé par une vague d’arrestation des manifestants (plus de 300 détenus politiques) et la criminalisation des opinions dissidentes et l’opposition politique.
Ce sont, entre autres, les raisons avancées par Afrikajom Center dans son rapport pour affirmer que « le Sénégal traverse à l’heure actuelle la crise démocratique la plus grave et la plus complexe, sans doute, de son histoire politique et de son histoire électorale depuis François Carpot et Blaise Diagné en 1914 ».
Le document n’a pas manqué de faire des propositions pour une sortie de crise parmi lesquelles il y a la libération sans condition de tous les détenus politiques et de tous les détenus d’opinion pour décrisper une situation politique trop tendue. Aussi, le centre recommande aux autorités de régulariser l’éligibilité des candidats à l’élection présidentielle et à inviter le Président Macky Sall a renoncé publiquement, dans les meilleurs délais, à son ambition de briguer un 3eme mandat.
En rappel, créé en 2018, Afrikajom Center est un laboratoire d’idées, un centre régional de formation et de recherche dont la vision est la construction d’un monde plus juste et équitable. Il est basé à Dakar au Sénégal.
Synthèse de Issouf Tapsoba
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