Déjà 33 ans que le Capitaine Thomas Sankara, père de la révolution d’août 83, a été assassiné. En effet, si tout le monde est unanime sur la date exacte de son assassinat, le 15 octobre 1987, les avis divergent cependant sur les commanditaires de cet acte « ignoble » et sur ce que serait devenu son cadavre ou, sur l’exactitude de sa sépulture. Afin que « son âme retrouve le repos éternel » et avant « la justice divine », les nouvelles autorités, après la chute du régime Compaoré, ont entrepris les démarches nécessaires à l’ouverture d’une enquête aux fins d’authentifier le corps de l’ex-Président et de retrouver, puis condamner les véritables coupables.
D’un point de vue juridique et d’une certaine norme sociale, cette démarche sied, et est même à encourager dans le but de décourager d’éventuels actes. Mais, est-ce, ce que « Thomas », comme l’appelait les intimes, voudrait aujourd’hui, d’autant plus que le dossier pour lui rendre justice, est toujours à la traine ? Même si l’on arrivait à lui rendre la justice tant souhaitée depuis toutes ces années, serait-il vraiment heureux là où il est, sachant que ses idéaux n’ont porté aucun fruit et qu’il se serait trompé de dire de son vivant : « Même si vous me tuer, des milliers de Sankara naîtront après moi » ?
Depuis le 15 octobre 1987 jusqu’à nos jours, le flou persiste autour de la disparition de l’ex Président du Faso, Thomas Sankara. L’on se rappelle, qu’en son temps, des voix s’étaient élevées pour que la lumière soit faite sur son assassinat. Il a fallu attendre plus de 27 ans, notamment avec les événements des 30-31 octobre 2014, marquant également la chute d’un des frères d’arme et plus proche collaborateur du regretté, Blaise Compaoré, ancien Président du Faso pour que ces voix redeviennent plus virulentes.
C’est ainsi que depuis cinq bonnes années, annuellement, et à la date correspondant à celle de son assassinat, des activités officielles sont organisées, et même au plus haut sommet de l’Etat burkinabè, pour un hommage « mérité » à l’illustre disparu. Il s’agit le plus souvent de dépôt de gerbe de fleurs sur sa « tombe » ; de films documentaires retraçant sa vie ; de conférences publiques ou des témoignages, souvent des plus intimes ; de livres sur sa personne et ses idées révolutionnaires, etc. Et, cerise sur le gâteau, un mémorial (statue à son effigie), lui a été récemment dédié au conseil de l’entente, lieu officiel de son assassinat.
Pour la commémoration du 33e anniversaire de son assassinat, l’on a assisté au pays des Hommes intègres, à l’inauguration d’une université Ouaga2 baptisée « Université Thomas Sankara (UTS)» par le Premier ministre, Christophe Dabiré, au premier dépôt d’une gerbe de fleurs au pied du mémorial qui lui a été dédié par le Président du Faso, Roch Kaboré, à la première projection du film documentaire intitulé « Thomas Sankara, l’humain » du journaliste Richard Tiéné. L’on a également appris, au cours de cette journée commémorative, que le dossier judiciaire dans l’affaire Thomas Sankara a été renvoyé en janvier 2021. Que dire ? Quoi penser ? Que faire de tous ces honneurs quand on constate ce grand mal, qu’il soit volontaire ou involontaire, à pouvoir faire avancer dans le dossier ?
En effet, l’objectif, à travers tous ces édifices et autres marques d’hommage, est la pérennisation du révolutionnaire qu’a été Thomas Sankara afin que lui et sa pensée demeure dans les cœurs et les esprits des générations présentes et futures ; que c’est beau et bien pensé ! Mais, comme on a coutume de le dire au Faso, ‘’y a soman, mais ka ta yé !’’ « C’est bon, mais ce n’est pas arrivé ! » ou encore « Thomas Sankara partout, Thomas Sankara nulle part ».
Au-delà de toutes ces manifestations, de toutes ces activités et de cette affaire pendante devant les juridictions afin de situer les responsabilités quant à son assassinat, un questionnement taraude l’esprit de plus d’un. Est-ce réellement ce qu’a voulu le Père de la révolution d’août 83 en engageant cette lutte révolutionnaire ? Ou, est-ce que tout cela le rend vraiment heureux là où il est ? Pourra-t-il vraiment avoir le repos escompté que nombreux souhaitent pour son âme, sachant que l’autosuffisance alimentaire qu’il avait presqu’atteint est aujourd’hui un idéal pour lequel les autorités après lui et actuelles continuent de se battre… ? Trop de questionnement !
La tendance aujourd’hui, c’est le San karisme. Presque tout le monde, est Sankariste, sankarien ou sankara, de par les idées révolutionnaires que l’on essaie de faire savoir lorsque l’occasion se présente, mais sans une dose de sa pratique. Eh oui, l’homme politique s’en sert pour glaner l’électorat, et les gens de la société civile en usent pour se faire une place au soleil, surtout quand on sait qu’il fait vraiment chaud sous nos cieux. Ce ‘’comportement nouveau’’ du Burkinabè, Sankara ne l’a pas voulu, et ne l’aurait jamais accepté de son vivant même sous le poids de l’âge et de la maladie. Sankara préfèrerait que les Burkinabè aient cette fibre patriotique qu’il a essayé d’implanter dans leurs cœurs. Il serait plus heureux de savoir que ce qu’il a commencé comme œuvres a, aujourd’hui, porté des fruits. Le plus grand hommage, et qui restera à jamais gravé, n’est ni le mémorial que l’on a bâti en sa mémoire ; ce n’est ni le fait de baptiser une université en son nom ; ce n’est encore moins le fait d’organiser des rencontres afin de parler de l’homme et de son œuvre.
Ce que l’on pourrait faire, c’est d’inculquer les valeurs réelles que prônaient Sankara aux populations à travers l’exemple, surtout aux tout-petits ; parce que, comme le dit le sage : « Donner moi un enfant avant ses sept premières années et je vous en ferai un Homme ». Pour être honnête, ce serait difficile, mais pas impossible de rectifier le tir en ce qui concerne cette génération déjà « …….. ». Avec les plus jeunes, il y a beaucoup plus de chance d’y parvenir si la volonté y est. C’est à l’une de ces conditions que Sankara pourra vraiment vivre éternellement dans les cœurs.
L’idée ici n’est pas que l’on bannisse toute initiative tendant à faire perpétuer l’image de Sankara, mais que soit plutôt priorisé l’essentiel, qui lorsqu’on décidera de faire un bilan, soit appréciable et encourageable ; parce que 33 ans après sa disparition, le constat n’est pas fameux.
Tambi Serge Pacôme Zongo
Latribunedufaso.net