Journée Internationale de la Sécurité Sanitaire des Aliments (SSA) : 137 000 décès enregistrés en Afrique, représentant 30% de la mortalité mondiale, due aux maladies d’origine alimentaire (Pr Mamoudou Dicko)

A l’occasion de la Journée Internationale de la Sécurité Sanitaire des Aliments (SSA) qui est célébrée le 7 juin de chaque année, Mamoudou H. Dicko, professeur en biochimie/biotechnologie alimentaire a l’Université Joseph Ki-Zerbo a fait un écrit pour situer le contexte de promotion de la SSA à l’international et au Burkina Faso. 

Cette journée vise à attirer l’attention et inspirer l’action pour prévenir, détecter et gérer les risques d’origine alimentaire, dans l’optique de contribuer à la SSA, à la santé humaine, à la prospérité économique, à l’agriculture, à l’accès au marché, au tourisme et au développement durable.

Selon lui, le constat est amer. Les règles de la SSA ne sont pas respectées dans plusieurs pays dans le monde. En effet, plus de 91 millions de personnes tombent malades (notamment de la diarrhée) par an en Afrique, entraînant 137 000 décès représentant 30% de la mortalité mondiale due aux maladies d’origine alimentaire. Au Burkina Faso, 77,6% n’ont pas accès à une alimentation saine.

Pr Mamoudou H. Dicko signale l’urgence d’agir de manière efficace contre ce phénomène.

Lisez ci-dessous l’intégralité de son écrit 

7 Juin 2024, Journée Internationale de la Sécurité Sanitaire des Aliments !

 « La sécurité sanitaire des aliments : préparons-nous à l’imprévu » : contexte International et cas du Burkina Faso

Depuis 2018, l’Assemblée générale des Nations Unies a retenu le 7 Juin de chaque année comme la Journée Internationale de la Sécurité Sanitaire des Aliments (SSA) [A/RES/73/250 du 18-12-2018, https://www.ohchr.org]. Cela est en ligne avec les recommandations du haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, à savoir « le droit à une alimentation adéquate ». Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 reconnait : « le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture suffisante », et « le droit fondamental qu’a toute personne d’être à l’abri de la faim ». Ce droit est réalisé lorsque chaque homme, chaque femme et chaque enfant, seul ou en communauté avec d’autres, a physiquement et économiquement accès à tout moment à une nourriture suffisante ou aux moyens de se la procurer. Cela sous-entend la disponibilité de nourriture exempte de substances nocives et acceptable dans une culture déterminée (souveraineté et éthique alimentaires), en quantité suffisante et d’une qualité propre à satisfaire les besoins alimentaires de l’individu. C’est pour garantir la SSA que la FAO et l’OMS ont créé la Commission du Codex Alimentarius, pour l’établissement de normes internationales sur les aliments. Son rôle est de protéger la santé des consommateurs et d’assurer des pratiques loyales dans le commerce alimentaire et le renforcement des capacités des pays à mettre en place des systèmes de SSA. La sécurité alimentaire n’est assurée dans une population que “quand toutes les personnes ont, à tout moment, un accès physique, social et économique à une nourriture suffisante, saine/salubre et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active”. Il est également reconnu que la malnutrition sous toutes ses formes peut être prévenue par la promotion de bonnes pratiques d’hygiène alimentaire. Une chose est de produire des denrées alimentaires et une autre est que ces aliments soient propres à la consommation et contiennent l’essentiel des nutriments dont nous avons besoin. Il est établi qu’il n’y a pas de sécurité alimentaire et nutritionnelle sans la SSA. 

L’objectif de cette Journée est d’attirer l’attention et inspirer l’action pour prévenir, détecter et gérer les risques d’origine alimentaire, dans l’optique de contribuer à la SSA, à la santé humaine, à la prospérité économique, à l’agriculture, à l’accès au marché, au tourisme et au développement durable. Dans un monde où les chaînes d’approvisionnement alimentaire sont complexes tout incident en matière de SSA peut produire des effets préjudiciables sur la planète entière avec la même ampleur sinon plus que le COVID-19. Dans un contexte d’insécurité lié au terrorisme, il est important de renforcer la SSA, la biosécurité, la bio-sûreté et même anticiper dans la prévention du bioterrorisme [https://www.interpol.int/Crimes/Terrorism/Bioterrorism]. La SSA étant l’affaire de tous, cette journée interpelle tous les citoyens d’être vigilants sur la qualité hygiénique des aliments que nous consommons. 

En Afrique, plus de 91 millions de personnes tombent malades (notamment de la diarrhée) par an, entraînant 137 000 décès représentant 30% de la mortalité mondiale due aux maladies d’origine alimentaire [http://www.who.int/foodsafety/areas_work/foodborne-diseases/ferg/fr/]. C’est en Asie et en Afrique Sub-Saharienne que la charge de morbidité et de mortalité imputable à ces maladies est la plus élevée. Dans ces pays, qui représentent 41% de la population mondiale globale, il y a environ 53% des maladies dues aux aliments et 75% de cas de décès qui en résultent. Il est estimé que parmi les habitants de l’Afrique de l’Ouest (environ 450 millions en mai 2024, dont 50% vivent au Nigeria !), 85% n’ont pas accès à une alimentation saine [FAO, 2023, https://doi.org/10.4060/cc3017fr]. Dans le cas du Burkina Faso, cette figure est de 77,6%. Cela montre que des efforts doivent être poursuivis non seulement dans la production d’aliments de bonne composition nutritionnelle mais aussi et surtout de bonne qualité sanitaire. 

Au Burkina Faso comme dans le reste du monde, la consommation des aliments insalubres est l’une des causes de maladies infectieuses et de malnutrition. Les aliments impropres à la consommation contiennent des bactéries et des virus pathogènes, des parasites uni- ou pluri-cellulaires, des substances chimiques nocives (mycotoxines, hétérocycles aromatiques, bisphénol A, métalloïdes, substances radioactives, protéines toxiques tels que certains prions, etc.) qui provoquent plus de 200 maladies, allant de la diarrhée, en passant par des troubles psychiques, jusqu’aux cancers. 

Les maladies liées au manque de SSA au Burkina Faso sévissent tous les jours. De nombreux cas d’intoxication alimentaire ont été enregistrés ces dernières années qui sont médiatisés et d’autres sont certainement non répertoriés. Les exemples les plus connus sont les intoxications alimentaires mortelles survenues en 2019 (provinces du Sanguié et Kouritenga) et 2020 (province du Poni). Les principales causes des intoxications alimentaires sont entre autres :

– la mauvaise utilisation des pesticides et antibiotiques qui se retrouvent dans les denrées alimentaires;

-la prolifération des aliments de rue sans protection, exposés à la poussière, crachats, morves, eaux pluviales, eaux usées, gaz d’échappement des moteurs, mouches, etc.;

– les mauvais emballages des aliments, notamment les sachets en plastique utilisés pour emballer les liquides et substances visqueuses chaudes (tô, placali, bouillie, huiles, sauce, thé, café, etc.) et les réutilisations d’emballages non alimentaires (ciment, chaux, etc..) pour emballer la viande, les galettes, etc. A titre d’exemple, l’intoxication au plomb ou chrome hexavalent du ciment peut provoquer, respectivement le saturnisme (maladie du système nerveux central) ou le cancer. Les sachets en plastiques sont généralement faits à base de polymères organiques (bisphénol A, polyéthylènes, etc.) dont la décomposition libère des produits toxiques ;

-les mauvaises pratiques de stockage, de transport, transformation, et de conservation des denrées alimentaires et des produits finis;

– la mondialisation des échanges commerciaux de denrées alimentaires de composition biochimique non maitrisées y compris les produits provenant des organismes modifiés (transgénèse, cis-genèse, intra-genèse, etc..) ou issus de la biologie synthétique;

– la restauration collective mal contrôlée avec du personnel très souvent sans notions d’hygiène ;

– la faiblesse du système de contrôle des aliments dans les marchés et yaars;

– la mauvaise compréhension des populations de l’importance de la SSA et de l’hygiène même à domicile ; 

– la porosité des frontières par lesquelles passent des aliments insalubres , etc.

Le Burkina Faso a développé des actions orientées vers la mise en place d’un système coordonné pour assurer la SSA. Il existe des dispositions règlementaires sur la SSA qui sont conformes aux prescriptions internationales. Il s’agit entre autres de lois (protection des végétaux; la gestion des pesticides ; code de santé animale et de santé publique vétérinaire; code d’hygiène publique, etc.) et d’autres textes règlementaires (création du comité national du Codex Alimentarius ; des arrêtés sur les mesures sanitaires phytosanitaires sur divers produits alimentaires, les normes alimentaires par l’ABNORM, etc.).

Le Burkina Faso possède un plan national de réponse aux urgences de SSA (PNRUSSA) en cours de consolidation. Le rôle du PNRUSSA est d’assurer la planification, la coordination et la documentation des actions à mener en cas d’urgence liée à la SSA. Au niveau international, le PNRUSSA travaille en synergie avec le Réseau international des autorités de sécurité sanitaire des aliments (INFOSAN) qui est un réseau mondial coordonné par la FAO et l’OMS [https://www.fao.org/food-safety/emergencies/infosan/fr/]. Plusieurs départements ministériels interviennent dans le système de contrôle de la SSA et le PNRUSSA. Parmi les structures opérationnelles l’on peut citer :

– le Ministère en charge de l’agriculture intervient pour l’inspection, le contrôle des végétaux et animaux, des produits phytosanitaires, à l’intérieur du pays à travers les postes de contrôle situés aux frontières et le contrôle de la qualité des sols agricoles; le Bureau Exécutif du Comité National du Codex Alimentarius , la Société Nationale de Gestion du Stock de Sécurité Alimentaire, la Direction Générale de la Promotion de l’Economie Rurale, la Direction générale de la production végétale, la Direction de la santé animale; le secrétariat Exécutif du Conseil National de la Sécurité Alimentaire, etc.;

– le Ministère en charge de la santé intervient à travers l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire, de l’Environnement, de l’Alimentation, du Travail et des produits de santé (ANSSEAT, ex-LNSP); la Direction de la Protection de la Santé de la Population, la Direction de la Nutrition, l’Institut National de Santé Publique, le Centre des Opérations de Réponse aux Urgences Sanitaires, le Secrétariat technique chargé de la multisectorialité de la nutrition (ST-Nut) ; le réseau national INFOSAN, etc. 

– le Ministère en charge du commerce s’occupe de la surveillance du marché à travers l’Agence Burkinabé de normalisation de la Métrologie et de la Qualité (ABNORM) avec la délivrance du Certificat national de conformité (CNC), l’APEX Burkina, la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso (CCI-BF), etc.; 

– le Ministère en charge de l’économie et des finances à travers la Direction Générale des Douanes, le COTECNA, etc.; 

– le Ministère en charge de l’administration territoriale qui intervient à travers les services d’hygiène des collectivités territoriales pour le contrôle de la qualité des aliments dans les communes, la brigade de lutte contre les abattages clandestins (BLAC) etc.;

– le Ministère en charge de l’environnement et de l’eau qui intervient dans les préventions des pollutions et des risques environnementaux, du contrôle des sols, des eaux, les produits forestiers, etc. ;

– le ministère en charge de l’enseignement supérieur et la recherche à travers les universités, les centre de recherche (CNRST, etc.) et l’Agence Nationale de Biosécurité ;

– le Secrétariat technique « One Health » qui regroupe plusieurs ministères. Il vise une approche intégrée, systémique et unifiée de la santé publique, animale et environnementale, aux échelles locales, nationales et planétaire.

Les structures de veilles citoyennes, de défense des consommateurs, d’acteurs du secteur public et privé existent au Burkina Faso. On peut citer comme exemples : 

– la Ligue de Consommateurs du Burkina (LCB) ;

– l’Association des consommateurs du Burkina (ACB) ;

– l’Organisation des Consommateurs du Burkina (OCB) ;

– les laboratoires des universités et les centres de recherche tels que le CNRST à travers les publications des travaux de recherche, fiches techniques didactiques, etc.

Toutes ces structures spécialisées interviennent d’une façon ou d’une autre dans la promotion de la SSA au plan national. Cependant, de nombreuses difficultés opérationnelles pourraient être surmontées à travers les stratégies suivantes :

– Une bonne coordination périodique des actions concertées et efficaces ;

– La création d’un plateau technique virtuel qui donne accès à tous les laboratoires au Burkina Faso capables d’effectuer le contrôle des aliments en fonction des paramètres recherchés ;

– Le partage d’informations et de données non confidentielles entre les structures ;

– La création d’une lignes budgétaire dédiée au fonctionnement des comités (CODEX et INFOSAN) dans le ministère en charge de la santé ;

– L’harmonisation et l’identification des missions et rôles assignés aux structures impliqués dans la SSA;

– L’utilisation des bioplastiques pour l’emballage des produits alimentaires et les autres emballages biosourcés et non nocifs ;

– La capitalisation et la communication des résultats de recherche sur la SSA entre les structures et dans les masses médias;

– L’opérationnalisation des inspections et le renforcement de leur efficacité ;

– Le renforcement des capacités techniques, organisationnelles des structures pour mener à bien leur rôle de contrôle et d’inspection ;

– La sensibilisation des consommateurs, leurs éveils de conscience, et leurs rigueurs en matière de SSA et l’exigence de qualité ;

– L’augmentation des capacités analytiques (humaines et matérielles) pour le contrôle approfondi des aliments destinés à la consommation humaine et animale.

Il convient donc de souligner l’importance de prévenir et de nous protéger des intoxications alimentaires à travers la formation des ressources humaines qualifiées, la disponibilité des structures de contrôles compétentes, l’existence d’outils analytiques approfondis et opérationnels, les recherches scientifiques actualisées, et les analyses permanentes non seulement à l’échelle macroscopique, microscopique et même atomique. 

Pr Mamoudou H. DICKO, PhD

URL : https://works.bepress.com/dicko/

Email : mamoudou.dicko@ujkz.bf

Latribunedufaso.net

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