Ceci est une tribune de Sidzabda Damien OUEDRAOGO dans lequel il aborde la question de l’IUTS sur les indemnités et primes des fonctionnaires qui fait l’actualité ces derniers jours.
En ce début d’année, comme il est de coutume partout ailleurs à travers le monde, les Burkinabè se sont et continuent pour certains de se formuler des vœux pour 2020. Dans une très grande majorité, conjoncture sécuritaire oblige, ils souhaitent que leur chère patrie, le Burkina Faso retrouve la paix. Une paix synonyme d’une victoire contre cet ennemi commun, sans nom et presque sans visage. Une victoire elle-même largement tributaire d’une union sacrée, sincère, consciente et consciencieuse de chacun et de tous, autour d’un seul et même impératif : la cohésion et une solidarité nationales agissantes. La raison pour nous d’aborder à travers les lignes qui suivent un sujet qui fait polémique et qui menace d’embraser à nouveau le front social.
Une gangrène dont se nourrit l’ennemi
L’IUTS, puisque c’est de ça qu’il s’agit, c’est l’Impôt unique sur les traitements et salaires. Généralement, lorsque l’on parle d’impôt, de taxe et autres terminologies liées à la fiscalité, c’est tout de suite la mer à boire ! Une espèce d’épée de Damoclès. Pour les organisations de défense des droits et des intérêts des salariés, toute imposition apparait tout de suite généralement ni plus ni moins comme faucheuse gouvernementale, au-dessus de la tête et des revenus des « pauvres travailleurs et/ou des citoyens lambdas contribuables ». Aux termes de la loi de finances 2020, il se trouve qu’il est prévu l’application effective de l’IUTS sur les indemnités et les primes servies aux travailleurs des secteurs public et parapublic au Burkina Faso.
En vérité, la disposition existe dans les textes depuis 2017. Bien avant cette année 2020, l’article 105 du Code général des impôts (CGI) disposait ainsi que : « L’impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS), perçu au profit du budget de l’État, est applicable à l’ensemble des traitements publics et privés, indemnités, émoluments et salaires de toute nature perçus, y compris les avantages en nature à l’exception des avantages en nature supportés par l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics n’ayant pas un caractère industriel ou commercial.
Sont également imposables à l’impôt unique sur les traitements et salaires :
- les primes et gratifications de toute nature servies aux travailleurs du secteur public et privé ;
- les rémunérations des gérants de société en nom collectif, de sociétés en commandite simple, de SARL et de sociétés civiles ;
- les rémunérations de l’administrateur unique de la société anonyme. »
Une disposition inscrite donc en des termes on ne peut plus clairs et non équivoques, qui s’applique du reste d’ores et déjà aux travailleurs du privé !
A tendre l’oreille du côté des centrales syndicales, on a cependant le sentiment et le présage d’un conflit social en gestation. Un bras de fer de plus entre syndicats et gouvernement, dans un contexte national qui n’a vraiment que faire de ces guerres des tranchées, ni de tous ces signes annonciateurs d’une apocalypse qui épargnera tout sauf les vestiges de notre nation. Il ne s’agit pas ici de jouer les alarmistes ni de se poser en donneur de leçons. Ce que nous recherchons et n’arrivons pas clairement à discerner dans cette affaire, c’est en vérité la cause réelle de la discorde et du conflit. Si comme sus-indiqué il existe, depuis 2017, une base légale qui élargit l’IUTS aux indemnités et aux primes des travailleurs du public (comme ceux déjà recouvrés du privé), les discussions menées à cet effet depuis 3 ans entre gouvernement et organisations syndicales devraient avoir normalement suffi et permis aux parties d’aboutir à ce que l’on a coutume d’appeler en la matière un compromis intelligent.
Au lieu de quoi, nous sommes soumis à une incompréhension permanente entre partenaires normalement obligés de s’accorder sur la gestion de la chose publique et sociale. Dialogue de sourds, source de conflits qui font le lit de la désunion, creusent et accentuent les failles par lesquelles l’ennemi s’infiltre, nourri et entretenu par cette gangrène.
Au-delà des considérations moralisantes
Bref, revenons-en à notre IUTS. Non content donc d’être légal, inscrit dans le Code général des impôts depuis 2017, il est passé au fil des ans et des services rendus à la nation, pour apparaître à plus d’un titre comme un impôt légitime. Si tant est, le Burkina Faso et les Burkinabè devraient plutôt s’enorgueillir quelque part d’avoir inventé une pareille trouvaille. Ceux et celles-là qui, se basant sur l’histoire, présentent volontiers cet impôt comme ayant été une contribution volontaire, consentie historiquement en 1974 par les fonctionnaires voltaïques de l’époque pour permettre à l’Etat de se redresser, peuvent de fait difficilement justifier aujourd’hui, dans le contexte particulier qui est actuellement celui du Burkina Faso, une quelconque réticence, voire un refus délibéré des salariés du public de consentir aux sacrifices nécessaires évidents dont a besoin le pays, pour faire face à la situation de guerre qui nous est imposée contre le terrorisme. Il y aurait là comme une sorte de paradoxe, qui échapperait complètement et totalement au bon sens, ainsi qu’à notre compréhension du patriotisme.
Or, nonobstant cette conjonction de temps et de cause, le législateur comme le gouvernement ne semblent pas y être allés aveuglement. Tant dans la conception, que du point de vue de l’application effective des nouvelles dispositions concernant l’IUTS. Bien au contraire. Tout d’abord, certains garde-fous ont été prévus par les textes, qui prévoient non seulement de ne pas ponctionner systématiquement toutes les primes et gratifications, mais également par les plafonnements de ne pas léser proportionnellement les revenus les plus faibles. Un ensemble de dispositions d’exonération totale ou partielle et de plafonnement à travers un relèvement des seuils prévus par les textes de 2017, qui constituent des preuves manifestes et évidentes d’une volonté de garantir un minimum de justice sociale et d’équité dans la mise en œuvre de cette disposition de l’IUTS sur les primes et indemnités versées aux travailleurs du public et du privé.
Depuis l’instauration de la nouvelle disposition, patrons et salariés du secteur privé payent régulièrement l’IUTS étendu à l’ensemble de leurs émoluments concernés. Toute chose ayant permis à cet impôt de se hisser ces dernières années au troisième rang de rentabilité en termes de recettes mobilisées en faveur du budget de l’Etat ; respectivement derrière la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et les Bénéfices industriels, commerciaux et agricoles (BIC). Beaucoup de revendications salariales étant alors en discussion autour de la table de négociations avec les syndicats, il est facile de comprendre que le différé d’application observé par le gouvernement avait pour objet de régler les questions par ordre de priorité et dans l’intérêt des travailleurs. Un répit qui ne peut et ne devrait normalement en aucun cas être perçu comme une renonciation à l’application de la loi et une exonération de facto des travailleurs du public de cet impôt d’Etat, dont la non perception entraîne un manque-à-gagner hautement préjudiciable au budget national et à la mise en œuvre de l’action gouvernementale.
Victime de sa propre mansuétude
En mal d’arguments supportables pour défendre et justifier la non application revendiquée de cette mesure aux salariés du public, les syndicats réclament purement et simplement désormais la suppression des prélèvements opérés jusque-là chez les travailleurs du privé. Ceci revient à tenter malicieusement de convaincre le borgne de se crever son œil voyant ! Plus sérieusement, il est plus que jamais temps que chacun prenne la bonne mesure des défis de souveraineté et de développement qui se posent à notre pays. Que de plus en plus les citoyens Burkinabè (et parmi eux les privilégiés incontestables parmi la masse que représentent les salariés) apprennent à raisonner équitablement en droits et en devoirs vis-à-vis de la nation.
Nous ne pouvons et ne devons plus continuer à penser et à rêver notre développement, en le basant uniquement sur la fameuse aide publique internationale. Les prêts et dons que nos gouvernants vont mendier à l’étranger ne sauraient durablement et efficacement constituer les piliers principaux et essentiels sur lesquels nous adossons nos plans et nos projets d’investissement ; tandis que plus de la moitié des ressources intérieures mobilisées reste consacrée et absorbée par les seules charges de fonctionnement de l’Etat. C’est une vérité difficile à entendre, qu’il va falloir cependant que les travailleurs du public intègrent dans leur logique revendicative, au risque inéluctable de finir par tuer la poule aux œufs d’or ; beaucoup plus vite et plus tôt qu’il n’y paraît.
En un mot comme en mille, c’est en réalité une vraie fausse querelle que l’Unité d’action syndicale (UAS) s’apprêterait à mener contre le gouvernement. La guerre de l’IUTS n’a vraiment pas lieu d’être. Elle s’apparente à une lutte d’intérêts égoïstes de la part des travailleurs du public, au moment où la nation est appelée à se mobiliser pour vaincre un ennemi qui met sa survie en péril. Ce combat des privilèges serait plus que malsain et malvenu, dans un contexte où des dizaines de nos soldats meurent au front et des centaines de milliers de nos compatriotes déplacés placent leurs espoirs et leurs attentes de secours dans les mains de l’Etat et du gouvernement.
Plus qu’un plaidoyer, c’est un appel à la raison. Mis à l’index comme étant les enfants gâtés de la république, les fonctionnaires et agents publics de l’Etat n’ont absolument rien à gagner dans une action de défiance inutile, contreproductive au plan communautaire et finalement suicidaire en termes d’image. Nul ne comprend que, après avoir été gracieusement absouts de l’IUTS sur les indemnités et primes trois ans durant pour cause de revenus insuffisants (seuils d’imposition), les fonctionnaires du public, qui ont entretemps vu leurs revenus augmenter et croître conséquemment à mesure de concessions gouvernementales, rechignent aujourd’hui à payer l’impôt sur lesdits revenus.
Pour l’heure, gardons-nous de toute autre analyse ou interprétation. Espérons, in fine, que raison et bon sens prévaudront. Pour éviter à notre pays de plonger dans une autre crise sociale non justifiée dont (sauf agenda caché) le Burkina Faso n’a absolument pas besoin. Le cas échéant, c’est à une fermeté de circonstance que l’écrasante majorité de citoyens anonymes sont en droit d’attendre de l’Etat. Sa turpitude étant clairement engagée dans cette affaire, le gouvernement est en devoir, vis-à-vis de l’opinion nationale comme des partenaires au développement, de s’assurer et faire en sorte que ses propres salariés s’acquittent de l’IUTS sur leurs indemnités et primes, au même titre que les salariés du privé le font depuis 2017. C’est une question de justice sociale et de civisme tour court.
Sidzabda Damien OUEDRAOGO