« Paroisse Saint-Pierre de Gounghin : Plus de 70 fétiches incinérés », c’est le titre de l’article de presse publié dans les colonnes du quotidien en ligne Lefaso.net dans sa livraison du mardi 20 avril 2021 qui relatait une neuvaine de libération et de protection organisé par l’abbé Martin Birba et qui s’est déroulé du 12 au 20 avril 2021, sous le thème « Lazare, viens dehors ! » (Jean 11,43). A cette information, le secrétaire technique de l’Institut des peuples noirs (IPN) M. Ousmane Djiguemdé a réagi dans son profil Facebook en estimant, entre autres, « qu’il s’agit là d’un précédent très dangereux qui peut engendrer un conflit de religions » dont nous devons nous passer « dans un contexte de réconciliation nationale et de quête de cohésion sociale ».
Cette réflexion a suscité un florilège de réactions qui pour désapprouver en des termes (parfois) acrimonieux, qui pour défendre (quelquefois) maladroitement les propos du directeur technique de l’IPN. La tension était si vive que certains de ceux qui sont opposés à l’incinération auraient esté en justice contre la paroisse Saint-Pierre de Gounghin. Dans cette ambiance cacophonique, on se rend à l’évidence : il y avait très peu de place pour la raison ; l’émotion étant devenue maîtresse des faits et gestes des uns et des autres et chacun essayant beaucoup plus d’exposer, dans le meilleur des cas, ses arguments que d’examiner ceux de l’autre.
Ce qu’il faut regretter dans cette polémique
C’est au regard de cet état que nos cinq (05) organisations dont certains des objectifs sont de contribuer à la protection, à la défense et à la promotion de notre patrimoine culturel matériel et immatériel se font le devoir, à travers la présente déclaration, de prendre position. Cependant, nous avons choisi délibérément de laisser retomber quelque peu le niveau de tension, vu l’extrême sensibilité de la thématique, avant d’apporter notre compréhension des mots employés et des idées développées d’une part et d’autre part notre entendement des attitudes et des comportements qu’il convient d’avoir dans de telles situations sans avoir l’intention de dispenser des leçons de morale encore moins des cours d’éducation religieuse. En effet, nous n’avons ni les compétences pour ce genre d’exercice, ni créé nos associations à cette fin.
Dans cette optique, il y a lieu d’emblée de regretter le ton, les mots et la forme dans lesquels les débats ont baigné jusqu’à présent. Cela est malheureusement le fidèle reflet de l’atmosphère d’ensemble qui entoure les débats entre Burkinabè sur les thèmes qui défraient la chronique dans la cité : inconvenance, incivilité, discourtoisie, voire impertinence et grossièreté (pour ne citer que ces mots) caractérisent le débat public dans les médias traditionnels, les médias sociaux, les réseaux sociaux et la rue. Or, une société démocratique ne se construit pas à partir des rapports teintés d’inimitié, d’agressivité, d’antipathie et de désobligeance entre les citoyens. Dès lors, on comprend (sans approuver bien entendu) que les Burkinabè cèdent parfois aux sirènes des préjugés et des stéréotypes les uns vis-à-vis des autres que ce soit sur le plan interindividuel ou que ce soit au niveau des relations entre les groupes socio-ethniques.
Que dit l’étymologie du mot fétiche ?
Concernant l’objet même de la présente déclaration, il convient, avant d’apprécier l’acte d’incinération des fétiches, de circonscrire les éléments définitionnels du concept de fétiche. A cet effet, notons qu’il provient du vocable portugais feitiço signifiant « artificiel » puis « sortilège ». Il était utilisé pour désigner les objets de culte africains subsahariens ; lui-même est un dérivé du mot latin facticius (destin dans certains cas et factice dans d’autres). L’épithète « artificiel » renvoie également à ce qui est produit par l’homo faber (être humain fabriquant d’outils), à ce qui est « trafiqué » (voire « faux ») et n’a donc rien à voir avec l’œuvre d’une quelconque divinité. Ainsi, les statuettes, les colliers, les bagues… peuvent être considérés comme des fétiches (même si leurs propriétaires font généralement référence à Dieu) pour peu que des pouvoirs dépassant ceux de leur(s) détenteur(s) humains leur soient attribués. De même, si un catholique, un évangélique ou un musulman prêtait respectivement des pouvoirs au chapelet, à l’ichthus ou au tapis de prière, cela pourrait être assimilé à un fétiche qui, bien sûr aux yeux des responsables religieux concernés, mériterait d’être incinéré ou au moins exorcisé.
Rapportés aux objets qualifiés de fétiches qui ont été apportés à l’église Saint-Pierre de Gounghin, il s’agit donc bel et bien de fétiches, à ne pas confondre avec les autels sur lesquels nous reviendrons. Font-ils partie des éléments de notre patrimoine culturel que nous avons le devoir de protéger, de défendre et de promouvoir ? Peut-être ! Mais, il urge de rappeler, qu’en plus du fait que ce ne sont pas des autels, ces objets sont généralement la propriété d’individus qui leur prêtent des pouvoirs dont ils prétendent être à même faire profiter aux autres. Si certains, le faisant, sont de bonne foi et sont animés d’altruisme, d’autres (et d’ailleurs les plus nombreux) sont des escrocs qui exploitent la crédulité de leurs semblables.
Ne confondons pas le fétiche avec l’autel !
Si le fétiche, selon l’acception historique portugaise, est un objet à qui les Subsahariens prêtent des pouvoirs de rang magique ou divin, l’autel, quant à lui, désignait dans les temps préchrétiens, une table de pierre sacrée à l’usage des sacrifices et des offrandes aux dieux. Deux notions sont contenues dans le concept : celle de hauteur (altar en latin) en référence à l’élévation vers les dieux et celle d’aliment (du latin alere) qui renvoie à la nourriture spirituelle dont a besoin l’être humain. De nos jours, le mot autel se rapporte à la table sur laquelle, dans la liturgie chrétienne, le clerc célèbre le saint sacrifice de la messe.
En réalité, les lieux où les sacrifices et les offrandes sont faits à l’être divin par les leaders religieux traditionnels (chefs de terre, de famille, de catégorie socioprofessionnelle, de lignage, de clan, de quartier, de village…) via les mânes des ancêtres sont à la religion traditionnelle ce que les autels sont pour les responsables religieux chrétiens. La particularité ici est qu’il y a des autels « circonstanciels » et des autels « permanents ». Les premiers renvoient aux sacrifices et offrandes faits à la divinité sur une voie de communication, au pied d’une colline, au bord d’une rivière, à l’entrée du domicile familial, etc. mais dont le lieu n’est pas matérialisé une bonne fois pour toutes ; si fait que d’un sacrifice à un autre ou d’une année à l’autre, l’emplacement exact peut changer ne serait-ce que légèrement. Quant aux seconds, ils peuvent être entreposés dans une case, un buisson, dans un coin de la cour… N’étant pas des fétiches, ils ne sont jamais déplacés ou, en tout cas, très rarement (intempéries, incendie, décès de la personne qui en est la responsable, etc.).
Ainsi compris, ce qui a été incinéré à l’église Saint-Pierre de Gounghin ne relève pas des autels mais des fétiches que les propriétaires ont volontairement apportés à l’église et remis à l’abbé Martin Birba qui les a incinérés. Et comme ce ne sont pas des autels, les levées de boucliers et les contre-levées de boucliers sont, du point de vue de nos associations, n’ont pas lieu d’être ; à la limite, les différents camps auraient-il dû échanger leurs idées avec courtoisie et donc dans une perspective constructive.
Somme toute, ces débats auront eu le mérite de provoquer le débat et de donner l’occasion aux uns et aux autres d’exprimer leurs opinions tout en constituant une opportunité pour le grand public de s’instruire davantage à partir de ces échanges passionnants et parfois passionnés.
Dans le même sens, il est impératif que les Burkinabè qui ont déjà fort à faire avec les groupes extrémistes armés et la radicalisation tendancielle visible de certains de leurs concitoyens soient davantage conscients du fait que ce spectacle nous distrait et nous détourne de l’essentiel tout en permettant à nos ennemis de gagner du terrain.
1. Pour Amour Divin
La Présidente, Justine OUEDRAOGO
2. Pour l’Association Kioogo
Le Président Ousmane SAWADOGO
3. Pour l’Association Paasyam
pour la Gestion Holistique des Ressources
Le Président T. Joanny OUEDRAOGO
4. Pour l’Association Sylvie-Chalaye
Le Président Dr Issaka TIENDREBEOGO
5. Pour l’Association pour la Tolérance
Religieuse et le Dialogue Interreligieux (ATR/DI)
Le Président, Issaka SOURWEMA, Dawelg Naaba Boalga